Une espèce en voie de disparition, Alphonse Bastian ? Elu conseiller municipal en 1959, maire d’Eblange depuis 1965, un record, il est l’archétype d’une certaine génération d’élus qui, en soixante ans, ont changé l’ADN de leurs communes. Une longévité exceptionnelle, mais une histoire qui se termine.
A cinq kilomètres de Boulay-Moselle, sur la route de Bouzonville, Eblange, 400 habitants, est connu pour son meeting international d’aéromodélisme, son église Saint-Wendelin qui a failli être rasée en 1984 et surtout son maire. Alphonse Bastian, bientôt 87 ans, détient un record en Moselle et en Lorraine. En France, seuls deux maires de 87 et 88 ans de l’Aisne et de la Haute-Garonne le devancent et terminent leur dixième mandat. Marié à Clémence depuis 62 ans, Alphonse a deux filles, cinq petits-enfants et quatre arrière-petits-enfants. Il a débuté dans le bâtiment avec un CAP de menuisier. La demande devenant moins forte, il s’est alors tourné vers la chimie à Carling. D’agent de maîtrise, il est devenu après des cours du soir, chef de fabrication jusqu’à sa retraite en 1989. En 1959, à 27 ans, on vient le chercher pour devenir conseiller municipal et en 1965, il est élu pour la première fois maire par 6 voix contre 3.
BLE Lorraine : Un dixième mandat ne vous tenterait pas ?
Alphonse Bastian : « Non, non, non … Si j’arrive encore en bonne santé et vivant en mars 2020, j’aurais 61 ans de mandat, dont 55 comme maire. Content d’arriver au bout. J’ai des problèmes auditifs, mon oreille gauche me joue des tours, question équilibre. A 87 ans, je connais mes limites. On ne turbine plus comme à 60-65 ans. On se dit un mandat mais pas deux puis, une fois dedans, ça change, on entreprend des choses. Je commence à m’organiser un peu. Il faudra bien que je me trouve quelque chose. Cela me fait un peu peur. ».
BLE Lorraine : Eblange s’est métamorphosé en un demi-siècle.
AB : « 143 habitants en 1960, 400 aujourd’hui. Au départ, il n’y avait ni assainissement, ni eau courante. Notre école était digne d’un taudis scolaire aux dires de l’inspecteur d’académie. En 1974, l’eau est arrivée en même temps que le premier lotissement. Aujourd’hui, il y en a trois communaux et un privé. En 1981, le foyer est inauguré : le premier du département avant celui de Boulay. C’est l’époque où l’église menaçait de s’écrouler et faillit être rasée. Je ne me représentais pas si le conseil municipal refusait les travaux qui s’élevaient à deux millions de francs. J’ai pris un arrêté et j’ai fermé l’église. Grâce à Julien Schvartz (NDLR : député de 1962 à 1981 et président du Conseil Général de la Moselle de 1982 à 1992) et à ses subventions, le monument a été sauvé et j’en suis fier. Aujourd’hui, le village est entièrement réaménagé : trottoirs, éclairage et tous les réseaux sont enterrés. Eblange n’a pas de problème de sécurité. »
BLE Lorraine : Qu’en est-il des finances communales ?
AB : « La commune est peu endettée, le taux des taxes, 10 %, est inchangé depuis des années. Au début, on avait peu de revenus et beaucoup de subventions. Aujourd’hui, les moyens financiers sont en baisse. Ceux-ci ajoutés aux problèmes administratifs, au sentiment d’abandon et à la complexité de la tâche, je comprends le sentiment de découragement de mes collègues. On a un budget de 400 000 euros. La moitié de ma rémunération de maire est reversée à mes deux adjoints. Lors de mes deux premiers mandats, je n’avais pas pris un centime. Même sans forêt sur notre territoire, on a quand même des revenus : 24 000 euros pour six pylônes Haute Tension et bientôt 12 000 euros pour la future centrale photovoltaïque qui sera installée sur les 18 hectares que l’on a rachetés à l’armée. »
BLE Lorraine : La casquette de maire ne vous a pas suffi ?
AB : « En 1965, je suis entré au bureau de recherche du SIEB (Syndicat Intercommunal des Eaux de Boulay) et j’en suis devenu le président en 1989, à la retraite. Il regroupe 35 communes pour 20 000 habitants et 280 km de réseaux. Tous les matins, je suis à Boulay et je tiens à suivre les travaux. Je gagne 800 euros par mois, l’équivalent de 70 % de la rémunération d’un maire d’une commune de 20 000 habitants et je ne me fais pas rembourser mes frais. Comme à la mairie, je délègue beaucoup. J’ai fait du syndicalisme à Carling et j’allais toutes les semaines à Paris. J’ai été vice-président du SIVOM-VRD mais aussi au bureau de l’association des maires de Moselle. Je me suis investi dans de nombreux domaines, pas au détriment de ma vie de famille, car j’ai une chance inouïe, ma femme ne s’est jamais occupée de quoi que ce soit. Sauf à confectionner des sandwiches pour les réceptions, économie de traiteur. ».
BLE Lorraine : La « Maison des services » à Boulay porte votre nom, quel effet cela fait-il ?
AB : « André Boucher, le maire de Boulay, décide en 2010 de donner le nom de celui qui a donné le plus à ce bâtiment communautaire. Je n’ai pas dit non puis j’ai regretté. J’ai presque honte. Mes enfants et petits-enfants sont fiers de ça. »
BLE Lorraine : A quelques semaines de votre dernier conseil municipal, quel bilan tirez-vous de vos 61 ans d’élu ?
AB : « J’ai commencé à rédiger un recueil de mes neufs mandats. Je n’ai pas l’habitude de regarder derrière moi. En dehors de la fermeture de l’école, j’ai eu tellement de satisfactions : toujours élu au premier tour, avoir pu avancer avant les autres communes. J’en suis fier et je n’ai aucun regret. Je ne dis pas, je suis le meilleur, je connais mes limites, mais je me demande encore comment j’ai fait en étant chef de fabrication, syndicaliste, maire et président de syndicat. La fonction de maire est dévoreuse de temps et il faut une bonne santé et une sacrée résistance. »
Le Maire reste l’élu préféré des Français
Selon un récent sondage, deux tiers des Français jugent leur maire compétent, honnête et dynamique. Cela confirme la popularité intacte des maires, surtout dans les petites communes. Celles-ci, au nombre de 18 500, ont moins de 500 habitants. C’est l’élu que les Français connaissent le mieux. Il est le premier recours et le dernier espoir des citoyens. Une grande majorité des sondés juge que le maire doit faire face à de trop grandes responsabilités et à un manque de reconnaissance. Selon cette enquête, une prise de conscience de l’importance de l’espace communal et de son rôle de relais de proximité pour le maire s’est faite et c’est pour cela qu’il faut valoriser sa fonction et son mandat.