Ecrivain et historien fidèle à la Lorraine, Kévin Goeuriot nous a dernièrement présenté son nouvel ouvrage intitulé Le Semeur de larmes. Ce roman historique, qui lui a demandé un an de recherches et huit mois d’écriture, retrace le parcours méconnu du Lieutenant-Colonel Aimé Laussedat, cartographe et topographe, qui fut amené à dessiner la frontière franco-allemande après la Guerre de 1870-1871, objet de tant de tourments et de déchirures en Lorraine.
BLE Lorraine : Pourquoi avoir choisi de parler de ce sujet dans votre nouveau roman ?
Kévin GOEURIOT : « C’est la découverte, il y a quelques années, d’un ouvrage rédigé par le Lieutenant-Colonel Aimé Laussedat, qui m’a interpellé sur l’origine et la fabrication de la terrible frontière franco-allemande de 1871. Cette frontière a durablement marqué l’espace lorrain et elle reste en grande partie à l’origine de notre complexe identitaire. Elle a créé une Lorraine annexée, qui héritera du Droit Local, et une Lorraine restée française, qui devra recomposer son espace militaire, socio-économique et culturel. A l’approche du 150ème anniversaire de la Guerre de 1870 et du Traité de Francfort, je tenais à rendre hommage à l’artisan de la frontière, dont le nom est méconnu en Lorraine, mais aussi à ces hommes et à ces femmes pris dans la tourmente de l’après-guerre. »
BLE Lorraine : Pourquoi avez-vous choisi ce titre ?
KG : « Il s’est révélé, un beau matin. Je voulais garder une référence à la terre. En posant 4 056 bornes-frontières, du Luxembourg à la Suisse, le Colonel Laussedat a semé, en quelque sorte, des traces indélébiles qui ont arraché à la France l’Alsace et une partie de la Lorraine. Une frontière aux allures de cicatrice, et qui devait faire couler beaucoup de larmes … D’où le titre : Le Semeur de larmes. »
BLE Lorraine : Quels traumatismes la déchirure de 1871 a-t-elle engendré en Lorraine ?
KG : « Malgré la possibilité, pour les annexés, de franchir la frontière pour s’installer en France et malgré une relative perméabilité de cette même frontière jusqu’en 1914, on peut dire que la limite est restée un traumatisme pour de nombreuses familles lorraines. Elle a obligé une véritable recomposition de l’espace local, Metz devenant la vitrine du Reich, et Nancy, l’incarnation de la culture française et francophile. L’Annexion a également suscité l’Ecole de Nancy, développé l’Art Nouveau, mais aussi renforcé l’antagonisme entre Metz et Nancy. Enfin, il ne faut pas oublier que cette même frontière a suscité quelques heurts, comme l’affaire Schnaebelé ou le drame de Vexaincourt. »
BLE Lorraine : Que nous apprend cet épisode méconnu de l’histoire de la Lorraine ?
KG : « La matérialisation de la frontière franco-allemande permet de mettre en lumière un épisode méconnu de l’histoire régionale. On connaît assez bien la Guerre de 1870, on connaît également la frontière et son tracé mais on ignore presque tout de la fabrication de cette frontière, la manière dont elle a, concrètement, été créée. Le nom de Laussedat est même inconnu en Lorraine. Pourtant, il s’est battu pour que plusieurs communes, comme Crusnes ou Raon-lès-Leau, restent françaises. A mon sens, il était important de réhabiliter son nom. »
BLE Lorraine : Pourquoi la notion de frontière est-elle si particulière en Moselle ?
KG : « La frontière est souvent perçue comme une ligne. Un trait. En vérité, dans notre région, la frontière est une aire. Un espace géographique à part entière. Elle a une épaisseur. C’est toute la dorsale lotharingienne qui fait office de zone tampon, ou d’espace d’entre-deux placé au contact des mondes latins et germaniques. Aux frontières politiques s’ajoutent des frontières culturelles, linguistiques et des frontières mentales aussi, qui sont peut-être les plus difficiles à franchir. Le Semeur de larmes est aussi une variation sur le thème des frontières, de nos propres limites. Et une ode, poétique, à notre région et à son histoire mouvementée. »