Le Parler Lorrain se compose essentiellement de noms communs, mais il comporte aussi un certain nombre de noms propres renvoyant la plupart du temps à des dates, des lieux ou des personnages.
C’est le cas de l’expression « tomber comme à Gravelotte » qui désigne une forte ondée. Comme personne ne l’ignore, Gravelotte est un petit village situé près de Metz, où les Prussiens pilonnèrent en 1870 l’armée française en déversant de telles quantités d’obus que le ciel s’en était obscurci.
Mais analysons le mécanisme prodigieux de la formation de cette comparaison. Il a fallu qu’un Français participe à cette bataille. Il a fallu qu’il en revienne. Il a fallu qu’il soit pris dans les champs sous l’orage. Il a fallu qu’il soit doté du démon de l’analogie au point d’assimiler cette averse au bombardement prussien. Il a fallu que cette trouvaille soit répétée à l’envie pour devenir emblématique et être préférée au pourtant très pittoresque « pleuvoir comme vache qui pisse ».
Le général Bourbaki était un officier de Napoléon III. Lors de la défaite de Sedan, ses troupes en déroute se replièrent vers le Sud et traversèrent la Lorraine. L’état des troupes était si pitoyable, avec les vêtements en lambeaux, des équipements détériorés, des soldats mal lavés à la barbe de six mois, que ce spectacle inspira horreur et effroi aux badauds qui les regardaient passer. Comme dans le cas de Gravelotte, le démon de l’analogie fit son œuvre. Et c’est pourquoi, dans les années cinquante, lorsqu’il voyait défiler une bande hirsute de vagabonds, le chaland s’exclamait, sans toujours savoir pourquoi : « Tiens, revoilà l’armée de Bourbaki ! »
« Gravelotte » et « Bourbaki » concernaient la guerre franco-prussienne de 1870. Dans les années 1970, un siècle plus tard, nos anciens les employaient encore. Vous ne voudriez tout de même pas qu’elles disparaissent ? Alors, en cas de très forte ondée, dites toujours : « Tiens, ça tombe vraiment comme à Gravelotte ! », et devant un attroupement de migrants, dites, avec une grande mansuétude chrétienne : « Tiens, revoilà l’armée de Bourbaki ! »